Le budget fédéral de 2021 a malheureusement fait très peu d’annonces réglementaires concernant les organismes de bienfaisance, bien qu’il se soit engagé à financer de nouvelles dépenses importantes pour soutenir un grand nombre d’organismes de bienfaisance et de bénéficiaires qui ont été durement touchés par la pandémie. Les idées de politiques et les suggestions de modification des lois et des règlements pour le secteur caritatif ne manquent pourtant pas. Nos priorités sont claires dans le rapport du Comité sénatorial spécial intitulé Catalyseur du changement, le Premier rapport du Comité consultatif sur le secteur de la bienfaisance et la Loi sur l’efficacité et la responsabilité des organismes de bienfaisance (projet de loi S-222) en cours de discussion au Sénat, présentée par la sénatrice Ratna Omidvar et appuyée par un grand groupe des meilleurs avocats des organismes de bienfaisance du pays. Toutefois, aucune de ces priorités n’a été retenue dans le budget, à l’exception de l’annonce (chapitre 6, section 3) que des consultations avec les organismes de bienfaisance auront lieu concernant une éventuelle augmentation du contingent des versements, en d’autres termes, le montant minimum que les organismes de bienfaisance sont tenus de dépenser des actifs non utilisés pour leurs propres activités de bienfaisance.
Je suis entièrement en faveur d’une augmentation des consultations et des débats publics sur les dépenses des fonds de dotation. L’intention serait de recueillir des données objectives pour déterminer s’il existe un écart ou un besoin de changement des politiques en se basant sur des preuves.
Dans cet article, je souhaite mettre en évidence certains faits. Dans mon dernier article, j’ai exprimé mon point de vue sur les mérites des fondations à long terme qui équilibrent les besoins d’aujourd’hui et les défis de demain dans leurs décisions en matière de dons. Maintenir cet équilibre signifie également avoir la capacité de conserver la valeur des actifs au fil du temps. De nombreux donateurs aux fonds de dotation des organismes de bienfaisance sont persuadés que leur don soutiendra un objectif de bienfaisance à long terme. Ils sont aussi parfois convaincus que leur don donnera une certaine stabilité à l’organisme de bienfaisance qui pourra compter sur un flux de revenus provenant de ce fonds de dotation pour poursuivre sa mission. Les fonds de dotation sont attrayants pour les organismes de bienfaisance et les donateurs pour ces raisons.
Alors, quel est l’enjeu politique soulevé par l’annonce du budget ? Dans son propre article, Malcolm Burrows souligne que même si le texte du budget est évasif quant aux organismes de bienfaisance qui suscitent des inquiétudes, les données qu’il présente attirent directement l’attention sur les fondations, leurs actifs et leurs dons. Il montre que les actifs des fondations augmentent au fil du temps, tandis que les dons augmentent à un rythme plus lent. Selon le texte, « la plupart des organismes de bienfaisance respectent ou dépassent leurs contingents des versements, mais il y a un écart d’au moins 1 milliard de dollars en dépenses de bienfaisance dans nos communautés. En outre, la croissance des actifs d’investissement des fondations a augmenté de façon considérable au cours des dernières années. En 2019, les fondations de bienfaisance détenaient plus de 85 milliards de dollars en investissements à long terme. Mais les subventions et autres activités de bienfaisance n’ont pas suivi le rythme. » On ne voit pas clairement quelles preuves viennent étayer l’affirmation selon laquelle il existe un écart d’au moins un milliard de dollars dans les dépenses. On ne sait pas non plus à quoi attribuer la croissance des actifs des fondations. Enfin, on ne comprend pas pourquoi le texte suggère que les subventions et autres activités de bienfaisance n’ont pas suivi le rythme.
Voici quelques faits.
Tous les organismes de bienfaisance doivent respecter le contingent minimal de versements de 3,5 %. Ce contingent s’applique aux biens qu’un organisme de bienfaisance n’utilise pas directement pour ses activités de bienfaisance ou son administration. En d’autres termes, ce sont principalement des investissements, bien que ces biens puissent également être des espèces, des terrains ou des bâtiments. Bien entendu, la majorité des organismes de bienfaisance respectent le contingent en dépensant une partie de la valeur de ces biens pour leurs propres activités. La plupart des fondations le respectent en accordant des subventions. Cependant, de nombreuses fondations privées peuvent aussi le respecter en dépensant leur argent dans leurs propres activités de bienfaisance. Certains organismes de bienfaisance transfèrent des biens à des représentants, parce qu’ils travaillent avec des entités sans vocation de bienfaisance. Tous ces versements, et pas seulement les subventions, doivent être pris en compte pour comprendre s’il existe un « écart » entre les actifs et les dons.
Le budget utilise des données recueillies par l’ARC. La dernière année complète pour laquelle des données agrégées sont publiquement disponibles auprès de l’ARC est 2018. Ces données indiquent que les fondations détenaient un total de 91,9 milliards de dollars, dont 35,6 milliards pour les fondations publiques, 23,7 milliards pour une fondation privée (la Mastercard Foundation) et 32,6 milliards pour toutes les autres fondations privées. Il est important de savoir qu’une fondation privée occupe une place si importante dans les données canadiennes. Les fondations privées les plus importantes après la Mastercard Foundation ne détiennent pas plus de 2 milliards de dollars chacune et les 149 autres fondations canadiennes détiennent environ 50 % de l’ensemble des actifs. Une autre considération importante est que la Mastercard Foundation déclare beaucoup plus de dépenses pour des activités de bienfaisance que pour des subventions. Elle concentre une grande partie de son attention sur l’Afrique et ses activités avec des représentants en Afrique constituent une part significative de ses versements
Le budget montre un taux de croissance constant des actifs des fondations privées. Un facteur de cette augmentation, en particulier au cours des trois dernières années, est la croissance inattendue des actifs de la Mastercard Foundation, qui sont passés de 12 milliards de dollars en 2015 à 35,8 milliards de dollars en 2019
Il est donc essentiel d’examiner de près les chiffres agrégés et de comprendre ce que les données peuvent et ne peuvent pas nous dire. Il n’existe pas de relation claire et nette entre les actifs détenus et le montant dépensé en subventions. Vous ne pouvez pas simplement appliquer un calcul de 3,5 % aux actifs et en déduire un chiffre qui vous donne un versement attendu précis. Le tableau se complique encore lorsque l’on sait que le contingent est calculé en fonction de la valeur moyenne des actifs sur 24 mois et que les organismes de bienfaisance peuvent utiliser « l’excédent » des versements d’une année antérieure pour respecter leur contingent, de sorte que chaque année est différente.
Savons-nous s’il y a un « écart » dans les versements ? Quelle est la présomption qui sous-tend cette déclaration ? Les organismes de bienfaisance devraient-ils dépenser davantage leurs fonds de dotation, surtout maintenant ? C’est une question normative et, comme je l’ai expliqué dans d’autres articles, les grandes fondations privées ont ressenti un impératif moral et y ont répondu en modifiant leurs pratiques et en augmentant leurs versements pendant la pandémie. En effet, certaines données montrent que les grandes fondations privées ont souvent dépassé le contingent minimum, même avant la pandémie. Le contingent des versements devrait-il être augmenté et, si c’est le cas, son montant devrait-il diminuer la valeur des fonds de dotation au fil du temps ? C’est un débat intéressant. Mais assurons-nous de travailler avec des preuves solides avant de procéder à un changement de politique.