Je pense encore à certaines des conversations approfondies ayant lieu aujourd’hui dans le domaine de la philanthropie au sujet du « transfert » du pouvoir. Selon moi, le mot « transfert » suppose un déplacement de quelque chose de A à B. Comme je l’ai écrit dans mon dernier article sur ce sujet, je ne considère pas le pouvoir comme étant fixe, comme appartenant à une personne plutôt qu’à une autre. Le pouvoir n’est pas non plus seulement une question d’argent. C’est aussi une question de réseaux, de connaissances et d’accès. L’argent, les réseaux et les connaissances ne doivent pas être considérés comme des réserves fixes, mais comme des monnaies d’échange. Ce mot « échange » m’amène aux relations. Peut-être qu’au lieu de se concentrer sur le transfert, notre conversation sur le pouvoir dans la philanthropie peut être plus révélatrice lorsque nous parlons de faire des échanges ou d’avoir des relations.
Le mois dernier, je suis tombée sur de formidables réflexions sur la question des relations dans la philanthropie. Que ce soit sur le blogue du Center for Effective Philanthropy, dans l’excellent balado Giving Done Right de Phil Buchanan et Grace Nicolette ou lors des débats d’experts de la conférence de novembre des Fondations philanthropiques Canada (FPC), ces réflexions ont mis l’accent sur les relations, même si ce mot n’était pas le premier prononcé.
Ces conversations ont souligné deux aspects des relations : la capacité et la responsabilité. Une relation mutuellement satisfaisante est une relation dans laquelle les capacités des participants sont développées et déployées de manière à apporter une valeur à la relation elle-même. Une telle relation mutuellement satisfaisante comporte également une responsabilité réciproque. Chaque participant reconnaît sa responsabilité envers l’autre de faire preuve d’honnêteté et de confiance, mais aussi d’accepter la responsabilité des objectifs de la relation. Une discussion plus approfondie porte sur la manière dont ces capacités et ces responsabilités peuvent être pleinement explorées par les organismes de financement et les partenaires. L’expression utilisée par la sénatrice Ratna Omidvar lors de la séance plénière de la conférence des FPC pour décrire son objectif pour les organisations caritatives est que celles-ci se sentent à la fois « habilitées et responsables » ou « efficaces et responsables ». Comment pouvons-nous, en tant qu’organismes de financement et partenaires communautaires, développer des relations dans lesquelles ceci est possible ?
Le Center for Effective Philanthropy a étudié les réponses des fondations américaines face à l’urgence de la pandémie. Leurs données indiquent que « la crise de 2020 a incité les dirigeants des fondations à reconsidérer leurs choix sur la façon dont ils mènent leurs activités ». Je pense que les données canadiennes recueillies par les FPC et d’autres organismes racontent la même histoire. Une partie du réexamen porte sur la manière de rééquilibrer leurs relations avec les bénéficiaires qui subissent un stress important au niveau de leurs capacités. Ainsi, les fondations assouplissent les restrictions, accordent des subventions avec peu ou pas de conditions, réduisent les exigences en matière de rapports et écoutent ce que les bénéficiaires leur disent sur leur situation et leurs besoins. Ces changements ont pour effet, du moins à court terme, de responsabiliser les partenaires communautaires et de renforcer la confiance dans leurs relations.
Pour aller plus loin, certaines fondations au Canada explorent une manière d’établir des relations « durables, confiantes et collaboratives » avec leurs bénéficiaires. La Fondation de l’Académie pour la collaboration, initiée par la Fondation Saputo et convoquée par Ashoka Canada et les FPC, réunit des organismes de financement et des innovateurs sociaux afin de déterminer ensemble une stratégie de collaboration. Les participants de la Fondation de l’Académie ont parlé de leur expérience de collaboration lors de la conférence des FPC. L’une des observations de leur premier compte rendu porte sur le cœur de la relation : « nous devons nous présenter différemment, donner la priorité à l’établissement de relations confiantes et durables les uns avec les autres, créer une harmonisation autour d’un objectif commun (sans être prescriptifs ou attachés à des solutions prédéterminées) ». L’accent est mis sur l’objectif et non pas le pouvoir.
Bien sûr, afin d’être en mesure d’établir des relations, nous revenons aux bases de la capacité. La capacité est le moyen d’atteindre un objectif. Les organisations qui se consacrent à la justice sociale et à la réalisation de changements systémiques sont souvent limitées dans leurs capacités. Consciente de ce fait, la Fondation Ford a pris en 2015 un engagement de 1 milliard de dollars sur 6 ans pour bâtir des institutions et des réseaux (BUILD). Les trois aspects de la subvention BUILD (un engagement à long terme, un financement flexible et un appui au renforcement institutionnel) travaillent de concert pour aider les bénéficiaires des subventions BUILD à être plus solides, plus résilients et plus efficaces. Le rapport d’évaluation intermédiaire de BUILD de cette année comporte déjà de nombreuses leçons utiles pour les organismes de financement qui veulent soutenir la capacité de s’engager. Au cours de la conférence des FPC, certains de ces enseignements ont été partagés lors d’une conversation entre Kathy Reich, dirigeante de BUILD, et Jean-Marc Chouinard de la Fondation Lucie et André Chagnon. Jean-Marc Chouinard a mis le doigt sur un élément important à prendre en compte par les organismes de financement. Il ne s’agit pas seulement d’aider à renforcer les capacités de vos partenaires, mais aussi de développer vos propres capacités internes en tant qu’organisme de financement : votre écoute, votre flexibilité et votre réactivité, ainsi que l’expression cohérente de vos valeurs dans votre structure organisationnelle et vos comportements. Si vos valeurs sont l’inclusion, la transparence, la confiance et le respect, qui sont les fondements de toute bonne relation, alors elles doivent se refléter dans vos comportements en tant qu’organisme de financement.
Et qu’en est-il de la responsabilité ? À mon avis, elle fait partie intégrante de la relation, comme la capacité. Cela signifie qu’il faut assumer ensemble (et non pas séparément) la responsabilité de la détermination mutuelle des objectifs. Cela signifie aussi un suivi conjoint et une responsabilité partagée des résultats de l’évaluation. Enfin, cela signifie que les deux parties doivent être responsables d’une plus grande écoute et d’une meilleure rétroaction. Melinda Tuan, dirigeante du Fund for Shared Insight, lors de sa discussion dans le balado Giving Done Right, parle de l’importance pour les organismes de financement et les organisations caritatives d’obtenir une rétroaction et de poser des questions sur ce qui compte vraiment pour les gens. L’un des projets du Fund for Shared Insight est Listen4Good. Cet effort vise à obtenir les réactions des personnes les plus touchées sur les choses qui comptent le plus pour elles. Les organismes de financement peuvent aider à renforcer les capacités pour cette rétroaction et peuvent aussi l’utiliser eux-mêmes. Le Center for Effective Philanthropy, Ford, Chagnon, Ashoka Canada, les FPC et de nombreux autres organismes philanthropiques fournissent des informations et des outils pour engager les organismes de financement et les organisations caritatives travaillant dans la communauté dans une relation plus approfondie. Ces conversations aident la philanthropie dans la tâche difficile que nous avons de maintenir des échanges, de rester en relation et d’aider à traverser cette période de crise.