Pourquoi ai-je écrit un livre sur les fondations canadiennes ? Cela fait quinze ans que je songeais à le faire, même si l’écriture du livre n’en a pris que deux. Au cours de ces quinze années, j’ai vu beaucoup de changements dans le monde des fondations. Certains ont été causés par des événements extérieurs. D’autres se sont appuyés sur les relations et les inspirations fournies par la croissance des réseaux personnels et numériques. D’autres encore sont le fruit d’un changement interne, les fondations ayant tiré des leçons de leurs propres expériences. Il y a eu suffisamment de changements pour en faire une histoire intéressante qui, à mon avis, mérite d’être racontée.
Ce livre est basé sur des histoires de fondations individuelles. Toutefois, il s’agit aussi d’une histoire sur l’histoire elle-même. L’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu écrire ce livre était que j’essayais depuis de nombreuses années de raconter une bonne histoire sur le rôle des fondations. Bien sûr, je devrais mentionner immédiatement que les récits généralisés sur les fondations se heurtent rapidement à la diversité des comportements et des activités des fondations. Il est difficile et inexact de dire que toutes les fondations jouent un rôle spécifique et similaire au-delà de celui de fournisseur de capital pour le bien social.
Cependant, en l’absence de détails ou de données, les histoires sont construites autour d’hypothèses. Les récits se basent sur ce qui peut être vu, comme les subventions des fondations, ou sur ce que l’on ne voit pas, comme les motivations des fondations ou la façon dont elles prennent leurs décisions. Le public s’intéresse à ce que font les fondations et pourquoi elles le font, car il y a un investissement public dans ces fondations, par le biais des subventions fiscales offertes aux donateurs. Toutefois, il y a également un défaut de suspicion en l’absence d’informations ou en présence de richesses destinées à l’intérêt public sans que le public ait son mot à dire sur leur distribution. Dans la pire interprétation, les fondations sont des institutions utilisées par des personnes fortunées pour imposer leurs propres priorités ou pour subvertir les priorités publiques en matière de changement social, tout en maintenant leurs propres privilèges.
Ma motivation était de développer une histoire plus positive sur le rôle de la philanthropie des fondations. En tant que leader des Fondations philanthropiques Canada, il m’incombait de la raconter. Je voulais également en savoir plus sur le rôle unique que les fondations pouvaient jouer dans notre société. Au fil des ans, j’ai écrit différents articles concernant le rôle des fondations, de l’investisseur social au preneur de risques stratégiques, en passant par l’organisme de financement de R et D social, l’instigateur et le catalyseur de changement, et le partenaire communautaire. Ce que j’ai compris en découvrant les réalités de la philanthropie des fondations, c’est qu’il n’existe pas de description unique. Les fondations elles-mêmes ont modifié leurs missions et leurs rôles.
C’est ce que je voulais refléter dans ce livre. J’ai choisi de parler des fondations au Canada qui sont généralement indépendantes et dirigées par des conseils d’administration autonomes dont les administrateurs sont ou non des membres d’une famille. En abordant la philanthropie des fondations, je ne me suis pas concentrée sur les fondations publiques qui collectent des fonds pour leurs institutions ou leurs communautés, bien que beaucoup d’entre elles fassent un travail extraordinaire. J’ai aussi choisi de parler des fondations dont les activités ont évolué sur une période de 20 ans ou plus, car cela permet de voir l’évolution du changement. Enfin, j’ai choisi d’écrire sur des fondations qui comprennent déjà l’importance de communiquer ce qu’elles font, comment elles le font et pourquoi. Ainsi, cette vingtaine d’histoires de fondations n’est pas représentative de toutes les fondations ou même d’une majorité. Toutefois, ces histoires apporteront, je l’espère, une richesse de détails qui nuancera le récit dominant sur les fondations. J’espère dissiper le mystère et montrer que les fondations sont dirigées par des personnes sérieuses qui ont de l’humilité par rapport à leur rôle et de la curiosité par rapport à leur communauté, qui sont prêtes à changer de cap et à tirer des leçons de leurs actions, et qui s’engagent à collaborer et à partager avec les autres.
On pourrait dire que je n’ai choisi que les histoires les plus positives, mais ce livre n’est pas dépourvu de critiques. Je suis bien consciente que l’on reproche aux fondations au Canada, comme aux États-Unis et ailleurs, de ne pas agir assez rapidement, de ne pas répondre aux besoins actuels, dans un monde où le changement climatique est rapide et les inégalités augmentent. Les fondations, tout comme les autres organisations, doivent se concentrer davantage sur l’équité et l’inclusion, et elles doivent être plus transparentes. Cela signifie qu’elles devraient partager leurs données de manière plus proactive, et pas seulement parce que les organismes de réglementation le demandent. Pour se montrer responsables, les fondations devraient expliquer quel changement et quel impact social elles recherchent et comment elles s’y prennent. Les leaders des fondations avec lesquels j’ai eu des entrevues le savent. Beaucoup d’autres personnes, que je n’ai pas incluses directement dans le livre, mais à qui j’ai parlé, le savent aussi. Les jeunes générations de familles siégeant aux conseils d’administration, les nouveaux leaders de fondations récemment créées et les donateurs qui ont émergé au cours de la dernière décennie répondent au monde de 2022 par des stratégies créatives d’utilisation du capital pour le bien public. Un livre écrit dans cinq ans pourrait bien les inclure.
Ce que j’ai voulu montrer dans ce livre, c’est que bien que les fondations puissent avoir des missions et des rôles différents, il existe des caractéristiques communes partagées par celles qui ont augmenté leur impact social au fil des ans :
Voilà ce qui rend les histoires dans ce livre pertinentes au-delà du Canada. Il s’agit en effet d’un récit d’initié sur les fondations canadiennes. Cependant, il est éclairé par, et je crois, important pour le travail des fondations aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d’autres parties du monde. Dans tous ces pays, les fondations font le travail que je décris au Canada : renforcer les communautés, développer des champs d’activité, faire avancer les politiques publiques et lutter contre le changement climatique. J’espère qu’en donnant un peu de profondeur à ce que font ces fondations, j’ai également montré pourquoi les fondations sont importantes et pourquoi nous devrions nous sentir concernés. Je suis plus curieuse et impatiente que jamais de découvrir ce qui se passera ensuite.
En tant que directrice de longue date d’une organisation à but non lucratif, j’ai réfléchi à ce que nous pouvons apprendre du fiasco apparent de la gouvernance de l’Organisme UNIS et de ses structures affiliées. Je me suis demandé : où était le conseil d’administration de l’Organisme UNIS à ce moment-là ? Charity Intelligence et d’autres organisations ont souligné les nombreux échecs de cette situation. Toutefois, ce seul exemple prouve-t-il que les conseils d’administration sont le talon d’Achille, la vulnérabilité fatale, des organismes à but non lucratif ?
Sans offrir plus de commentaires sur l’Organisme UNIS, il serait temps de réfléchir à ce que j’appellerais les « sept péchés » du comportement des conseils d’administration des organismes à but non lucratif. La plupart de ces péchés proviennent directement d’un manque de surveillance indépendante. D’autres surgissent parce que le conseil d’administration n’a pas posé suffisamment de questions sur les politiques de l’organisation. Tous suggèrent l’importance d’avoir des sources d’informations et de conseils indépendantes et externes.
Les vérificateurs indépendants sont d’excellentes sources d’informations et de conseils. Leur travail consiste à poser des questions. Dans le cadre de leurs responsabilités, ils peuvent suggérer des améliorations à la gestion et aux pratiques financières. Cependant, bien que le conseil d’administration d’un organisme à but non lucratif puisse développer une certaine aise et une certaine confiance en leur société de vérification, en particulier si sa structure organisationnelle est évolutive et complexe, le conseil doit être prêt à examiner périodiquement les questions financières avec un regard neuf.
Ce « péché » accompagne souvent le premier. Les risques évoluent au fur et à mesure que les situations changent, particulièrement lorsque la complexité augmente. Pour évaluer efficacement les risques, les conseils d’administration doivent être disposés à communiquer régulièrement avec des personnes extérieures, qu’il s’agisse de vérificateurs, de conseillers externes ou de collègues du secteur. Un regard nouveau sur les risques est essentiel.
Les conseils d’administration des organismes à but non lucratif constitués en société ont au moins 3 directeurs. La plupart en ont encore plus. Il est essentiel que les directeurs aient suffisamment d’indépendance par rapport à l’organisation pour qu’ils puissent poser des questions difficiles sans gêne ni crainte. Les directeurs des conseils d’administration ne sont pas les « propriétaires » de leurs organisations. Ils doivent être en mesure de prendre une certaine distance pour remplir leur devoir de diligence et ne pas tomber dans le piège de l’obligation et de l’excès de familiarité.
Ces politiques sont importantes. Elles ne devraient pas être juste une page dans le manuel du directeur du conseil. Dans le cadre de leur devoir de diligence, les directeurs doivent être conscients de la nécessité de déclarer une situation où leurs propres intérêts et ceux de l’organisation sont liés à leurs avantages personnels. La plupart des directeurs des organismes de bienfaisance ne sont pas payés, mais ils peuvent avoir d’autres conflits. Ils doivent donc adopter et souscrire à des politiques de conflit d’intérêts et déclarer les conflits dès qu’ils les remarquent.
Le travail d’un conseil d’administration n’est pas terminé s’il s’engage seulement au minimum de transparence lors de la présentation de ses états et rapports financiers annuels à l’organisme de réglementation. Les directeurs du conseil doivent divulguer qui ils sont, et ils devraient également demander à leur organisation d’être régulièrement et proactivement transparente quant à sa mission, ses opérations et ses stratégies.
Il s’agit d’une composante de la transparence. Si une organisation fait pression sur le gouvernement pour un contrat ou plus largement pour un changement de politique publique, il est important que le conseil d’administration demande aux gestionnaires d’être vigilants durant la divulgation et l’enregistrement de ces activités, en fonction de leur importance. Un lobbyiste n’a pas toujours besoin de s’enregistrer. Toutefois, si l’organisation dépense beaucoup de ressources ou travaille avec des personnes extérieures pour influencer le gouvernement, elle devrait se montrer disposée à rendre son rôle public de façon proactive.
Ceci est un élément primordial. Si vous êtes trop près ou trop loin, vous risquez de commettre certains des six autres péchés. Les conseils d’administration doivent trouver le juste équilibre dans leurs rôles. Le problème est que les conseils ne sont pas les seules structures qui « gouvernent ». Ils ne sont pas des gestionnaires et ne figurent pas au niveau supérieur de la hiérarchie organisationnelle, bien qu’ils aient une responsabilité fiduciaire unique. Ils ne sont pas les seuls façonneurs ou gardiens de la stratégie, des finances ou de la réputation d’une organisation. Les directeurs apportent leurs idées, leurs compétences, leurs réseaux et leurs yeux critiques. Oui, ils devraient jouer un rôle fiduciaire ainsi qu’un rôle créatif et générateur, en partenariat avec d’autres personnes : avant tout avec le personnel de l’organisation, mais aussi avec les donateurs, les partenaires et d’autres organismes travaillant dans le même domaine. Ils devraient établir un dialogue, partager des idées et rester connectés au contexte dans lequel leurs organisations travaillent. Les meilleurs directeurs gardent leurs oreilles ouvertes, utilisent leurs voix et partagent leurs réflexions les plus pointues.
Je remarque des signes de pensée plus créative en ce qui concerne les rôles des conseils d’administration des organismes à but non lucratif. L’excellent travail en cours sur la réinvention de la gouvernance par l’Ontario Nonprofit Network et Ignite NPS met l’accent sur l’importance d’élargir la gouvernance au-delà du conseil d’administration en lui-même. L’initiative de réinvention de la gouvernance formule le problème comme ceci : « la gouvernance des organismes à but non lucratif n’est pas forcément conçue pour être systématiquement efficace et capable de répondre à l’environnement complexe actuel ou futur. » La réinvention de la gouvernance suggère que les conseils d’administration devraient être considérés comme un élément important d’un « écosystème » de gouvernance plus large qui façonne la mission, la stratégie et la performance d’une organisation. La gouvernance ne devrait pas être assimilée uniquement aux conseils d’administration. Cela crée trop d’attentes et représente une charge trop importante pour les conseils d’administration, et cela rend le recrutement et le leadership des conseils bénévoles de plus en plus difficiles. Ne laissons pas les échecs apparents de l’Organisme UNIS nous rendre plus nerveux ou moins enclins à prendre des risques en matière de gouvernance. Espérons que ces discussions susciteront un nouvel empressement et une nouvelle créativité pour repenser et élargir nos points de vue sur l’écosystème de la gouvernance à but non lucratif, en particulier en ces temps difficiles.