Subscribe

Des changements s’annoncent-ils pour la philanthropie ?

06/07/2021
Hilary Pearson

Des changements s’annoncent-ils pour la philanthropie ?

La pandémie nous a tous transformés, du moins à court terme. Est-il encore trop tôt pour tirer des conclusions sur la façon dont la pandémie a changé la philanthropie ?

Dans un article intéressant paru récemment, l’historien de la philanthropie Ben Soskis a commenté les changements qu’il perçoit dans ce qu’il appelle « les normes et les explications, c’est-à-dire les règles qui régissent les comportements philanthropiques ou charitables qui sont acceptés ou valorisés, et les explications archétypales reproductibles qui se sont développées pour donner un sens à ces comportements ». Il mentionne quelques tendances importantes, qui se profilaient déjà aux États-Unis avant la pandémie, mais dont l’évolution s’est accélérée en raison de son impact. Certaines d’entre elles suscitent la démocratisation des dons philanthropiques, comme :

  • la création de multiples centres de pouvoir philanthropique ;
  • l’accroissement de l’influence des fondations de plus petite taille par l’entremise des médias sociaux ;
  • la tendance vers la désintermédiation et vers d’autres formes de dons ;
  • l’intensification des demandes du public pour la responsabilisation de la philanthropie ;
  • la résistance à l’idée que la philanthropie devrait fonctionner comme une entreprise ;
  • le développement de l’entraide mutuelle locale comme autre solution aux dons de charité ;
  • l’augmentation des transferts en espèces et des initiatives d’aide directe, ainsi que davantage de financement participatif pour les communautés marginalisées.

D’autres engendrent des changements plus fondamentaux dans le domaine de la philanthropie, comme :

  • la présence et l’influence accrues des donateurs vivants 
  • l’émergence des fonds orientés par les donateurs comme instrument clé de la philanthropie : la priorisation du contrôle des donateurs ;
  • les préoccupations grandissantes concernant les inégalités des richesses et les disparités de pouvoir ;
  • les critiques de plus en plus nombreuses des sources de richesse de la philanthropie à grande échelle (la critique de décolonisation), la liberté de choix sur l’acte de donner (la critique des pouvoirs ploutocratiques) et l’octroi de subventions descendantes (la critique technocratique) ;
  • l’urgence de la distribution et la philanthropie fondée sur la confiance : donner plus à des organismes de bienfaisance maintenant et sans condition ;
  • l’émergence de « donner de son vivant »  : un plus grand nombre de fondations se sont établies en tant qu’organismes à durée limitée dans les années 2000 ;
  • l’immensité de la menace posée par le changement climatique entraînant l’angoisse existentielle et l’envie pressante de dépenser plus.

Ces tendances sont attribuables en grande partie à l’influence des technologies numériques et aux médias sociaux. D’autres s’expliquent par les changements de croyances et de valeurs des différentes générations ; et d’autres encore, par l’appel à la justice sociale, à l’inclusion et à la réparation. J’estime que tout cela est aussi présent dans le paysage philanthropique du Canada que dans celui des États-Unis. Et cela impose une conversation sur le changement. Je me suis déjà exprimée, dans un article précédent qui avait comme sujet la crise d’aujourd’hui et les défis de demain, sur la façon dont le nouvel accent mis sur « l’urgence de la distribution » influence la discussion canadienne actuelle sur les versements minimums et sur l’urgence de dépenser davantage, plus rapidement. 

Ces tendances laissent également supposer que le modèle institutionnel des fondations philanthropiques subventionnaires doit être réexaminé en profondeur. Les gens se demandent depuis plusieurs années quand le paradigme des fondations subventionnaires, gérées à huis clos par de petits groupes non diversifiés, va être secoué. Le moment serait-il venu ? Si c’est le cas, comment s’y prend-on ?

Dans le climat actuel, qui pourrait éventuellement donner lieu à des réformes encore plus radicales des fondations philanthropiques, l’idée de l’octroi participatif des subventions attire de plus en plus l’attention. Comme le terme le laisse entendre, l’octroi participatif des subventions implique la participation d’un plus grand nombre de personnes dans le processus de prise de décision sur la distribution des subventions. Cela peut varier d’une simple consultation ou de conseils donnés par des gens qui seront peut-être concernés par la subvention, à l’attribution de tous les pouvoirs décisionnels aux communautés qui recevront les fonds. Bien que cette pratique ait été documentée au cours de la dernière décennie (voir l’article de Grantcraft publié en 2018, Guide to Participatory Grantmaking), elle n’a pas été très répandue, étant donné que de nombreuses fondations craignent de perdre leur fonction essentielle d’octroi de subventions. En effet, ce genre de changement est susceptible de transformer radicalement le paradigme des fondations. 

Un signe que cette tendance est de plus en plus en vogue, un nouveau livre, Letting Go : How Grantmakers and Investors Can Do More Good by Giving up Control, écrit par Ben Wrobel et Meg Massey, examine deux approches : l’octroi participatif des subventions et l’investissement participatif. Les auteurs y décrivent comment les fondations peuvent susciter la participation, de la mise sur pied d’un comité consultatif sur les subventions jusqu’à la délégation de tous les pouvoirs décisionnels aux partenaires communautaires permettant à ces derniers de choisir les priorités et de distribuer les fonds. Wrobel et Massey font aussi valoir que le financement philanthropique peut être octroyé de manière participative, par l’entremise d’un investissement à impact (voir l’article Deciding Together : Flipping the Power Dynamics in Impact Investing). Voyant (ou espérant voir) un mouvement se former autour de cette idée, ils ont fait équipe avec un groupe de dirigeants de fondations pour créer une communauté de pratique en ligne pour les fondations et pour les donateurs qui s’intéressent aux approches participatives. De plus, la moitié des profits du livre seront versés au fonds Liberated Capital du Decolonizing Wealth Project, qui soutient des initiatives pour le changement social menées par des personnes autochtones, noires et de couleur.

Serait-ce un signe que des changements plus fondamentaux se produiront dans le secteur de la philanthropie ? Depuis le début de la pandémie, nous avons vu un assouplissement des conditions de financement, la réorientation de plus de ressources vers des communautés jusqu’à présent exclues et des démarches pour simplifier le langage et pour rendre les fondations plus accessibles. Toutefois, les critères pour mesurer le changement évoluent aussi. Le prochain effort devra sans doute consister à concevoir délibérément un système plus inclusif. Comme l’a fait remarquer Meg Massey dans une récente entrevue, il n’y a pas vraiment de risques à écouter des voix et des perspectives différentes, peu importe le contexte ou la stratégie philanthropique. La question légitime qui préoccupe les dirigeants de fondations au sujet de leur responsabilisation lorsque les prises de décisions sont partagées ou transmises devra sans doute être abordée. Mais il y a moyen d’avancer. Comme l’a indiqué Soskis, peut-être que l’heure est venue pour un changement de paradigme en ce qui concerne les normes et les explications, qui façonnera le modèle des fondations à l’avenir. 

Ne manquez jamais une nouvelle publication. Abonnez-vous.
twitter-squarelinkedin-squarearrow-circle-upenvelope-square