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« L’ancienne » normalité et les « nouvelles » priorités

01/02/2021
Hilary Pearson

Au tournant de cette année de pandémie 2020, nous sommes à nouveau en semi-confinement, sommés de rester à la maison et loin des autres, incapables de nous rencontrer en personne, méfiants à l’égard des contacts humains. Cela nous oblige à prendre du recul, à réfléchir et à essayer de comprendre ce qui s’est passé hier, mais aussi ce qui pourrait se passer demain. Selon l’écrivaine Arundhati Roy, nous nous retrouvons tous bloqués dans un présent incertain, essayant de « rassembler les échos de notre passé et les prémonitions de notre avenir ». Elle pense que la « pandémie est un portail » que nous traverserons ; nous devons décider ce que nous allons apporter avec nous et ce que nous allons laisser derrière nous.

La nouvelle année est une occasion de réfléchir à notre passé et à notre avenir. De nombreux observateurs réfléchis de la philanthropie et de la société civile l’ont fait et ont partagé leurs réflexions à l’approche de la fin de l’année 2020. En les lisant, j’ai été frappée par l’espoir qu’ils expriment d’une « nouvelle voie » pour l’avenir, et pas seulement d’une reconstruction ou d’une reprise. En effet, nous n’avons pas été à la hauteur. Revenir simplement à « la vie d’avant » ne semble pas adéquat. Nous devrions vouloir une nouvelle, et non pas une « ancienne », normalité. Mais à quoi cela pourrait-il ressembler ?

De nombreux observateurs ont souligné, à juste titre, que la pandémie nous a montré, d’une façon que nous ne pouvons pas éviter et que nous ne devons pas ignorer, les inégalités au sein de notre société : les inégalités des revenus, le racisme systémique, l’injustice sociale, les préjugés sexistes. Face à cela, les gouvernements, la philanthropie et la société civile ont dû assumer leurs responsabilités comme jamais auparavant. Toutefois, on peut dire que nous sommes intervenus tout en agissant dans le cadre du paradigme de « l’ancienne » normalité. C’est-à-dire ?

Dans « l’ancienne » normalité, les gouvernements protègent notre santé, nous fournissent des filets de sécurité et préservent nos droits en tant que citoyens. La philanthropie soutient les communautés et les sociétés en finançant des établissements de bienfaisance de toutes sortes. Et la société civile sert, éduque, crée et défend (entre autres fonctions) pour améliorer notre bien-être en tant qu’individus et en tant que société. Au cours de l’année 2020, les gouvernements, les donateurs et les organismes à but non lucratif au Canada se sont surpassés avec ce paradigme.

Les gouvernements ont rapidement agi pour tenter de remédier à l’impact de la maladie. Ils ont fourni un soutien urgent du revenu qui a été largement distribué, ainsi que des fonds ciblés. Ils ont continué à nous tenir informés et à nous éduquer par le biais de la santé publique. Un nombre important de fondations philanthropiques ont assoupli les restrictions liées à leurs subventions, ont donné plus d’argent qu’auparavant et se sont engagées à mettre en place des fonds collectifs et à partager le processus décisionnel avec leurs partenaires communautaires. Les organisations et les individus de la société civile ont réagi de manière extraordinaire à la demande accrue de soutien, tout en faisant face aux contraintes liées au passage au travail à distance, à la baisse des revenus provenant des collectes de fonds traditionnelles et aux vulnérabilités liées à la diminution de leurs activités de base. Beaucoup de gens ont répondu avec motivation et engagement au mouvement pour l’inclusion, l’équité et la justice pour les populations historiquement exclues et non reconnues.

Cependant, une grande partie de ce qui a été fait en 2020 n’a pas dépassé les limites des hypothèses et des pratiques habituelles. En effet, une grande partie de ce qui a été fait était extraordinaire. Mais nous présupposions que nous reviendrions à l’ordinaire, qu’il y avait un état « normal » auquel nous reviendrions. Le financement public d’urgence prendra fin ; les fondations et les donateurs reviendront à leurs niveaux et pratiques de dons antérieurs ; les organismes à but non lucratif et les organisations caritatives continueront à s’arranger avec des budgets de fonctionnement réduits et à faire plus avec moins. Est-ce là ce que nous voulons en 2021 ?

C’est un moment crucial pour reconsidérer les anciennes relations et responsabilités, non seulement en tant qu’individus, mais aussi au sein des gouvernements, de la philanthropie et de la société civile dans son ensemble. Les effets de la pandémie, combinés au mouvement pour une action plus significative contre le racisme, l’inégalité et l’exclusion systémiques, ont créé l’opportunité de rompre avec « l’ancienne normalité » dans les relations entre les gouvernements et la société civile. La professeure Susan Phillips de l’Université Carleton a examiné, dans un article prémonitoire et réfléchi publié fin septembre, les événements de l’année écoulée et leurs implications. Elle a constaté au moins trois impacts majeurs :

  • un renouvellement de l’importance du lieu, étant donné les impacts variés de la pandémie sur les différentes communautés et populations;
  • la nécessité d’un engagement plus approfondi des leaders et des citoyens de la société civile auprès du gouvernement en ce qui concerne les grands enjeux horizontaux de l’inégalité qui doivent être traités au niveau social;
  • une inclusion plus significative des diverses communautés dans les rôles de leadership au sein de la société civile et du secteur public.

Phillips préconise un réel changement dans les politiques et les pratiques des gouvernements, des organisations à but non lucratif et des organismes de financement privés. « Les effets désastreux de la covid-19 sur le secteur à but non lucratif exigent non seulement la reprise et la restauration du statu quo, mais aussi la réinvention des modèles de prestation de services, de meilleurs moyens d’engagement dans l’élaboration des politiques, et des stratégies plus efficaces d’inclusion et de ressources humaines. » Nous n’avons pas besoin de plus de consultations de pure forme, ni d’une élaboration des politiques détachée et mal informée. Nous devons avoir des relations et des discussions plus approfondies, en tant que partenaires visant des objectifs communs, aussi bien au niveau communautaire que national.

Lucy Bernholz, l’autoproclamée mordue de la philanthropie de l’Université de Stanford, fait écho à cette pensée. Elle écrit une revue annuelle des tendances et des prévisions en matière de philanthropie et de société civile numérique. Dans son Plan 2021, elle plaide avec passion pour un réexamen approfondi des rôles du gouvernement et de la philanthropie dans la situation actuelle. « Plus de philanthropie ne nous mènera pas à une société juste ou équitable. Une meilleure philanthropie serait utile, mais plus fondamentalement, il faudrait une évaluation honnête de la philanthropie que nous avons créée et de la place qu’elle devrait occuper au sein des responsabilités publiques. »  Bernholz commente le contexte américain dans lequel la grande philanthropie est beaucoup plus présente et l’État moins central qu’au Canada. Néanmoins, elle met le doigt sur le même besoin de changement fondamental que Susan Phillips. Les gouvernements doivent prendre l’initiative, mais le faire en collaboration avec des citoyens impliqués par le biais d’organisations revigorées de la société civile. « Le rôle légitime de la philanthropie et de la société civile sera de soutenir et de maintenir l’infrastructure pour une participation et un leadership civils et politiques vastes et inclusifs dans l’établissement des priorités publiques… »

Cela peut-il se faire ? Quelles sont nos nouvelles priorités pour 2021 ? Allons-nous traverser le portail de la pandémie vers un monde différent ? Dans mon prochain article de blogue, j’explorerai à quoi cela pourrait ressembler.

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